jeudi 11 août 2011

Le Vermont parle toujours français


Des Québécois et d'autres francophones canadiens ont été nombreux à émigrer aux Etats-Unis au XIXe siècle. Une présence qui persiste, même si elle perd du terrain face à l'anglais.

Le Devoir

A 87 ans, Rita Charlebois parle un français presque impeccable. Elle a pourtant grandi dans les vertes collines du Vermont, où ses parents, francophones et catholiques, avaient émigré de Chrysler, dans l'Ontario [la province à l'ouest du Québec]. Rita Charlebois danse aussi la gigue, lors des veillées traditionnelles canadiennes-françaises que sa petite-cousine, Marguerite Senecal, organise depuis six ans dans le petit village de Vergennes, dans le nord du Vermont [l'un des Etats américains qui bordent le Québec]. Rita et Marguerite font partie de la vaste communauté américaine d'origine canadienne-française qui peuple le Vermont depuis la moitié du XIXe siècle. Venus pour acheter des terres plus fertiles et moins chères que celles du Québec, ou pour travailler dans les nombreuses usines de l'Etat américain, ces Canadiens français ont longtemps su conserver leur langue, leur culture et leurs traditions.

[A tel point que] la Nouvelle-Angleterre était surnommée "Québec-en-Sud"... Sur une carte illustrant la présence francophone en Nouvelle-Angleterre, on peut voir que les francophones étaient concentrés dans le Vermont en 1850, avant de se diriger vers le New Hampshire, le Massachusetts et le Rhode Island vers 1900. Aujourd'hui, on calcule aussi qu'environ un habitant sur trois de l'Etat du Maine serait d'origine québécoise. A un moment de l'Histoire, le Vermont, et la ville de Burlington en particulier, a été un centre de la culture canadienne-française en Nouvelle-Angleterre. La paroisse de Saint-Joseph, à Burlington, a été l'une des premières paroisses franco-américaines et catholiques des Etats-Unis. "On y disait la messe en latin, et l'homélie en français et en anglais, jusqu'en 1943", se souvient John Fisher Poissant, de la Société de généalogie du Vermont et du Canada français.

Dans les années 1920, les francophones catholiques de l'Etat étaient la cible du Ku Klux Klan, qui est allé jusqu'à brûler une croix du cimetière de la paroisse catholique de Sainte-Augustine, à Montpellier [l'une des plus grandes villes du Vermont]. "Les francophones représentaient alors la plus importante minorité culturelle de l'Etat du Vermont, où il y avait peu de Noirs et peu de Juifs", explique Mark Richard, professeur d'histoire de l'université de l'Etat de New York à Plattsburgh et lui-même d'origine franco-américaine.

"De 1920 à environ 1925, le Ku Klux Klan comptait 80 000 membres dans le Vermont", relève Mark Richard. Un peu plus tard, entre 1931 et 1941, cet Etat a mis en place [sous l'influence du zoologiste Henry Perkins] des politiques eugénistes. Celles-ci visaient à stériliser les membres de familles vermontaises répondant aux trois "D" : délinquance, dépendance et [déficience] mentale. "Les trois D étaient utilisés pour stigmatiser les pauvres, les handicapés, les Canadiens français et les Amérindiens", peut-on lire dans un article revenant sur cette période sur le site de l'université du Vermont. Ils représentaient "une invasion insidieuse et continue" du Vermont et étaient donc visés, ajoute encore l'université du Vermont. [En tout, 253 personnes ont été stérilisées. La dernière de ces interventions a été menée en 1957].

[En dépit de cet ostracisme], "mes parents insistaient toujours pour qu'on parle français à la maison", raconte Doris Stage, qui parle encore français aujourd'hui et qui a publié un livre sur les traditions francophones du Vermont. Enfant, Doris fréquentait l'école de Stanhope, aujourd'hui Dixville, située exactement sur la frontière entre le Québec et le Vermont. "J'y suis allée pendant quatre ans, se souvient-elle. On y apprenait l'anglais et le français. Puis ils ont décidé d'enseigner uniquement en français, et mes parents se sont dit : 'Nous vivons aux Etats-Unis, nos enfants doivent apprendre l'anglais.' Alors j'ai quitté cette école."

Longtemps, les francophones du Vermont ont disposé de leurs propres écoles paroissiales catholiques. Puis, selon Mark Richard, lorsque les religieuses se sont vu donner la possibilité par le Vatican de choisir leur occupation, plusieurs ont quitté l'enseignement, ce qui a entraîné la fermeture de ces écoles. Au même moment, l'arrivée de la télévision dans les maisons, principalement en anglais, a aussi favorisé l'assimilation des francophones à la culture dominante.

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