mercredi 9 janvier 2008

Les Français dans le Sud de la Californie

Les Français dans le Sud de la Californie

1ère partie (1779 - 1859)


L’influence des Français à Los Angeles a commencé avant même qu’elle ne soit fondée ! C’est en effet Théodore de Croix (Croix-Lille 1730 - Madrid 1791), capitaine général des provinces du Nord-Ouest du Mexique pour le roi Charles III d’Espagne, qui a recommandé la création d’un pueblo sur les rives de la Porciúncula. Ce voeu sera réalisé par le gouverneur Felipe de Neve qui signera la décision de fondation le 26 août 1781, le "Pueblo de Nuestra Señora la Reina de Los Angeles" étant inauguré le 4 septembre suivant.

Il faut ensuite attendre l’indépendance du Mexique en 1822 pour que la Californie s’ouvre à d’autres personnes qu’aux citoyens castillans, catalans ou basques d’Espagne. La présence ancienne des Basques explique en grande partie l’attrait de la Californie chez leurs cousins français de la Soule, de Basse-Navarre et du Labourd qui ont maintenu jusqu’à nos jours une grande tradition d’éleveurs et de fermiers.

Les premiers immigrants français dont l’histoire a retenu les noms sont d’anciens soldats de Napoléon Bonaparte venus aider les indépendantistes mexicains et arrivés dans le pueblo en 1827 avec leur officier Louis Bauchet. Les tout premiers vignobles de la Californie ont été plantés en 1832 en bordure des rues Macy et Aliso par Louis Bauchet et Jean Louis Vignes (un natif de Béguey, canton de Cadillac, Gironde, arrivé en 1831) : ils produiront jusqu’à 150.000 bouteilles par an. En 1834, Vignes plante aussi la première orangeraie de Los Angeles. De 1832 à 1837, l’église de la plaza du pueblo a comme prêtre résident un père de Picpus, Jean Auguste Bachelot.

Selon le recensement de 1836, sept autres Français sont également installés dans le pueblo de Los Angeles (Charles Baric, Jean L. Braun, Joseph Feviru, Jean Mayen, Léon Victor Prudhomme, Pierre Raumereau et Louis Tolmayes). D’autres se sont établis à Santa Barbara comme Augustin Janssens (ex-grognard, devenu boulanger-pâtissier), Lataillade (il y achète un ranch) ou Joseph Aguirre (armateur qui s’y fait construire une splendide résidence).

Favorablement accueillis, beaucoup de pionniers français épousent des filles de grandes familles locales (Alvarado, Lugo, Suñol, etc) comme :


Bauchet et Lataillade (déjà cités),


Victor Prudon (nommé en 1838 capitaine de milice et assistant auprès du gouverneur Juan Bautista Alvarado ; lieutenant-colonel rattaché à l’état-major du général Vallejo commandant l’armée mexicaine, fait prisonnier par les Américains le 14 juin 1846, nommé ensuite aide du général John C. Frémont, lui-même né à Savannah, d’ascendants français),


Joseph Mascarel, qui sera élu maire en 1865, deviendra en 1874 le premier propriétaire d’un magasin sur Gower Street (Hollywood 12 ans plus tard).


Pierre Sainsevain (construit une minoterie et une scierie à Santa Cruz, rachète les vignobles de son oncle J.-L. Vignes en 1855, tout premier producteur de champagne californien en 1856, ouvre le premier magasin de vin californien à New York en 1860).

Grâce à leur niveau d’instruction, l’influence des Français à Los Angeles est énorme ; en 1850, ils représentent une bonne dizaine des 619 personnes alphabétisées (sur les 1610 habitants). Il est à noter que jusqu’en 1875-80, les activités commerciales, financières et administratives seront presque toutes conduites en espagnol, langue qui est suffisamment proche du français pour que les nouveaux arrivants s’intègrent rapidement.

En 1852, Anaclet Lestrade fonde le premier pensionnat pour garçons de Los Angeles. De 1850 à 1870, l’influence des français a surpassé celle des autres pays et la plupart des nouveaux venus se sont installés autour des rues Alameda et Commercial, site de l’ancien village indien de Yang-Na, faisant de ce quartier le principal centre commercial de la Californie du Sud.

Parmi ceux qui sont arrivés avant 1860, il faut aussi citer Charles Baric (il découvre dans Placerita Canyon de l’or qui est enregistré en 1843 par la Monnaie des Etats-Unis comme le premier en provenance de la Californie, cinq ans avant la Ruée vers l’or), Jean-Louis Sainsevain (frère de Pierre, ingénieur, exploitant agricole, premier grand maître de la Loge Maçonnique de Los Angeles fondée en 1854), les boulangers Joseph Lelong, André Manau, Amada Medelia et Auguste Ulyard, la Salandié, les commerçants et Maurice Kremer, les fermiers De La Bach, Pierre Domecq, Lemoreau, L. Perault ou Laurent Smith, les bergers et éleveurs basques Dominique Amestoy (dans Cahuenga), Pascal Ballade (Jean Etchemendy, Bernard Etcheverry, fondateurs de Ramona, Comté de San Diego), Simon Gless, Pierre Larronde, Miguel Leonis et Gaston Oxarart, le couple franco-suisse François Henriot - Theresa Bry (cette Genevoise ouvre en 1854 la première école privée dans First Street, l’Ecole Henriot émigrera plus tard à Pasadena), le pâtissier Papier, le médecin Hippolyte Blanchard, le cordonnier Jean Real, l’horloger Monnet, les charpentiers Heaulme et Charles Roussillon, l’éleveur Pierre Reynier, l’artiste Henri Pénelon (il répare et redécore l’église de la Plaza en 1856-57), et le capitaine C. A. Faralle qui comman-de un corps de 105 fantassins français formé en mai 1857 pour protéger toute la communauté des nombreux "outlaws" en cette période troublée.

A l’aube de 1860, 600 des quelque 5000 habitants de Los Angeles sont français ou francophones.

Dès 1852, on trouve des français à des postes influents dans le dévelopement économique, social et politique de la ville. Mascarel est élu maire en 1865, Mesmer a un hôtel et Lazard a un magasin.

En 1862, sous l’influence d’un maire canadien, Jean-Louis Sainsevain et Charles Lepaon installent le premier système de distribution d’eau par tuyau. En 1868, le système sera amélioré et renforcé par des tuyaux en fer par la nouvelle corporation Los Angeles City Water Company, dont l’un des trois dirigeants est le français Salomon Lazard, avec le soutien financier de Sainsevain et Lepaon.

En ces temps aussi, l’Alsacien André Briswalter prospère avec ses ventes de légumes à domicile. Son commerce marcha si bien qu’il pourra acheter d’énormes étendues de terrain dont la majeure partie de ce qui est aujourd’hui Playa del Rey. A sa mort, il laisse notamment 25.000 dollars pour qu’une église soit érigée sur sa tombe (St. Peters à 1039 North Broadway).

Un autre Alsacien, Georges Lehman, est alors devenu le très populaire patron d’une brasserie café-concert qu’il a aménagé en 1856 dans la "Roundhouse", une demeure excentrique pouvant accueillir jusqu’à 2500 personnes, construite par le marin français Raymond Alexandre, qui se trouve aujourd’hui à Pershing Square.

Un autre Français, Solomon Lazard, bénéficie d’une réputation de probité sans faille et ouvre un magasin sur Main Street où les élégantes trouvent le dernier cri de la mode parisienne. Le magasin sera repris en 1868 par son cousin Eugène Meyer qui l’appellera "La Ville de Paris" et ensuite déménagera sur Spring Street.

C’est également le temps où le Basque Dominique Bastanchury se lance dans l’élevage bovin et ovin ainsi que dans la production intensive de raisins et d’agrumes : il sera même propriétaire de la plus grande orangeraie du monde, sise à Fullerton.

(Texte basé sur "Vida de Fray Junípero Serra" de Francisco Palou et "Le Guide Français de Los Angeles et du Sud de la Californie" publié en 1932 par F. Loyer et C. Beaudreau). Compilation : Jean-Marie Lebon


En lisant ces lignes, vous avez découvert des noms qui vous sont familiers car ils s’affichent aujourd’hui sur de nombreux panneaux bleus tout autour de l’ancien pueblo : ces rues ou avenues sont en effet le seul et vivant témoignage des anciens terrains ou demeures où s’étaient installés les pionniers comme Bauchet, Beaudry, Bernard, Ducommun, Fremont, Gless, Leonis, Mignonette, Mesnager, Nadeau, Naud, Prudent, Vignes, etc. Mais nos pionniers s’établirent aussi dans toute la région comme le montrent notamment Amestoy Avenue dans la vallée de San Fernando, Robidoux Boulevard à Riverside, Bastanchury Road à Fullerton ou De Longpré Avenue à Hollywood.


2ème partie (1859 - 1911


En 1859, la communauté française est assez importante pour que le consulat de San Francisco dispatche un consul honoraire : Jacob Moerenhout.
Celui-ci, né à Anvers le 17 janvier 1796, a servi Napoléon en Belgique et eu une vie bien remplie. D’abord immigré au Chili où il se marie, il part en 1829 s’installer à Tahiti comme commerçant. Consul des Etats-Unis en 1835, puis de France après 1838, il oeuvre avec succès pour l’annexion des îles à la France. De 1845 à 1859, il représente la France à Monterey, ex-capitale de la Californie mexicaine (NB : sa maison-consulat existe encore et abrite l’Office du Tourisme de Monterey). Le 29 octobre 1859, il inaugure le premier consulat français à Los Angeles où il restera vice-consul de France jusqu’à sa mort le 13 juillet 1879.

Louis Mesmer, natif de Sarrebourg, fut boulanger à Strasbourg, Colmar et Paris avant de s’installer à Tippecanoe (Ohio) où il épouse Katherine Frost. Après maintes aventures, il vient s’installer à Los Angeles où il achète la boulangerie Ulyard, puis celle de Baltz qu’il rebaptise "New York Bakery". Il fournit aussi les trois compagnies de soldats au Rancho La Ballona (l’actuel Culver City). Finalement, la famille achètera l’U. S. Hotel qu’elle fera prospérer (coin Main et Requena Sts.). Il dirigera aussi la construction de la Cathédrale Sainte Vibiana de 1871 à 1876.

Parmi les autres Français de cette époque, il faut citer : Emile Bordenave (restaurateur) ; Joseph Couget (planteur de coton, éleveur de moutons, associé à Louis Dartigues à San Juan Capistrano) ; les frères François et Léon Escallier (viticulteurs) ; Paul Molle, qui arrive à Los Angeles après avoir vécu à La Nouvelle Orléans et San Francisco(éleveur Rancho Malibu, laitier-crémier) ; les frères Jean et Louis Sentous (éleveurs dont le ranch était au coin de Western et Jefferson, laitiers-crémiers, immortalisés par des rues à Downtown, Industry et West Covina) ; Marius Taix et son frère, lesquels ont commencé comme gardiens de moutons et ont parrallèlement fait grossir leur propre cheptel, la vente duquel leur permet d’ouvrir une boulangerie sur Market Street qui deviendra éventuellement le restaurant Taix ; les frères Emile et Théophile Vaché (producteurs viticoles dans le comté de San Bernardino),...

L’événement de l’année 1860 est la création de la Société Française de Bienfaisance Mutuelle le 1er mars à l’invitation du Vice-Consul Moerenhout. Les fonds récoltés alimentent une caisse de remboursement de soins mais l’ultime but est la construction d’un hôpital ouvert à tous sans discrimination de religion, de sexe, d’origine ethnique ou de nationalité (il y eut dès le début des membres italiens). Le Dr. A. Lacharmois est nommé attaché médical de la société dont le droit d’entrée est de 2 dollars et la cotisation mensuelle de 1 dollar.

Les revenus permirent de poser le 4 octobre 1869 la première pierre d’un hôpital au coin des rues College et Hill. Il existe encore aujourd’hui mais, vu l’actuel panorama ethnique du quartier, il a été racheté par une société chinoise.
Une statue de Jeanne d’Arc et diverses plaques commémoratives aux entrées de l’hôpital restent les témoins de cette prestigieuse réalisation des Français.




Face à ces importants industriels, d’autres Français ont des activités plus limitées mais tout aussi lucratives : par exemple les restaurateurs Louis Vieille et Fréderic Guiol établis en 1868 sur Main Street, entre Commercial et Requena, Louis Christopher, Victor Dole et son "Commercial Restaurant" ou encore Casson et Flotte installés en face de Pico House. Il y a aussi l’hôtelier Firmin Mirassou, le cordonnier-chausseur Joseph Mesmer, l’épicier Jean Jaussaud, le boulanger Jean Dorée, ...


On retrouve aussi beaucoup de français parmi les artisanst, petits commerçants et restaurateurs : Luois Vieille, Frédérique Guiol, Victor Dol, le coiffeur Félix Signor, le boulanger Jean Doré, le cordonnier Blanchard, le pharmacien Jean Violé et des plus grands, comme les entrpôts Edouarnaud et Luis Christopher, fameux pour sa confiserie et son usine de crème glacée. Comme Edournaud et Christopher, le pharmacien Lucien Brunswig devient le propriétaire du plus grand laboratoire de l’ouest des Etats-Unis.

Quand fut établie en avril 1871 la Farmers & Merchants Bank, deux Français, Amestoy et Mascarel, souscrivent au capital de la banque. Pas un des quartiers de Los Angeles ou des communes avoisinantes n’échappe aux investissements des Français ou à leur vision de l’avenir : c’est ainsi qu’Eugène Aune est allé construire en 1875 la première maison de Santa Monica pour y ouvrir un restaurant, suffisamment fameux pour attirer, en ce temps-là, des clients à 20 miles à la ronde.

Quelques éleveurs français des Alpes ou des Pyrénnées ont investi leurs gains dans l’immobilier ou la terre et ont laissé de prestigieux immeubles tels Pelissier sur Wilshire ou Amestoy à Encino ou encore Garnier à Downtown. on retrouve aujourd’hui ces anciens propriétaires dans le nom des rues comme Delongpre Boulevard à Hollywood, Sentou Street, Amestoy, Labaig, Leonis Boulevard à Vernon et Mesner à Mar Vista.

En matière culturelle, les français ont aussi largement contribué : Hector Alliot était le conservateur du premier musée de Los Angeles, le peintre Paul Delongpré a fait connaître le patit village d’Hollywood à l’échelle nationale, et bien sûr le cinéma avec l’arrivée en 1918 de groupes de français venus de la côte est, comme le grand réalisateur Maurice Tourneur, lequel influencera grandement l’esthétique du cinéma.

(Texte basé sur le "Guide Français de Los Angeles et du Sud de la Californie" publié en 1932 par F. Loyer et C. Beaudreau, et sur le "1872 Los Angeles City and County Directory". Compilation : J.-M. Lebon.)

http://www.consulfrance-losangeles.org/article.php3?id_article=259

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